Du texte à la scène
Une année sans été de Catherine Anne
Article pour le Billet des Auteurs de Théâtre-28 septembre 2011
le 20 janvier 1987 : Donc me voilà – ou plutôt nous voilà – embarqués dans une nouvelle aventure ! Depuis hier nous répétons ce qui dans deux mois (le 20 mars !) doit aboutir à un spectacle. Je ne sais comment décrire mon état double, d’incertitude angoissée, de peur et de certitude dure, de calme confiance. Je fais de grands efforts pour me convaincre que j’ai déjà monté des spectacles, que donc cela a été déjà possible ; mais il me semble que je suis absolument débutante, ignorante, avançant en terrain entièrement inconnu. Dans cette jungle je crains de m’égarer en entraînant tout le monde. En même temps je n’ai pas ce sentiment pendant le travail mais avant ou après les répétitions. Le travail lui-même s’annonce bien et je l’aborde pleine de joie et de confiance. Compliqué compliqué. La fin du film de Tarkowski, Andreï Roublev, l’histoire de la fonte de la cloche m’accompagne.(…)
Ces quelques lignes ouvrent ce que j’avais pompeusement intitulé : Une année sans été – répétitions-représentations- journal du spectacle.
Quelle ambition !
Dans les premières pages, je parle beaucoup des comédiens, Éric, Aladin, Hélène, Isabelle et Fabienne. Je décris ce que j’espère faire apparaître dans le jeu de chacun et j’évoque nos premiers essais :
(…) Dans les improvisations d’aujourd’hui, beaucoup de petites choses sont venues montrer leur nez à la surface. (…)
Pas très précis comme commentaire de mise en scène !
Je me souviens de ces répétitions : une plongée dans le texte à la recherche du jeu. Nous étions six, nous avions tous les luxes : le temps (deux mois de répétitions), l’insouciance financière (chacun de nous six salarié à plein temps grâce au JTN) et une salle de travail entièrement vouée à nos errances, à nos recherches (louée grâce à l’Aide à la Création du Ministère de la Culture obtenue par la pièce).
Dans cette salle de répétition, petite, avec la lumière du jour qui tombait du plafond, je lançais des improvisations, parfois très loin de la pièce que je venais d’écrire. Il y avait un poteau au centre, et beaucoup d’intensité dans notre façon de tourner autour ! Tous les interprètes étaient des camarades, nous avions fait le CNSAD quelques années auparavant. À la lecture de la pièce, Éric m’avait dit y avoir trouvé dedans tout ce qu’il rêvait d’exprimer. La chance pour l’auteur !
Nous commencions chaque après-midi par un échauffement physique, des exercices. Nous avions décortiqué le texte la première semaine et traqué le parcours de chaque personnage. Il y eu tout un temps d’improvisations autour des situations de la pièce, et puis de ces mêmes situations, avant que les comédiens ne commencent à s’approprier le texte. Nous répétions huit heures par jour. Le journal n’a bien sûr pas pu être tenu quotidiennement. Le 1° février, j’y écris des images imaginées :
(…) Je vois le travail dans les tissus. La recherche des défauts, l’aération, le pliage… Je vois la chambre d’abord indiquée par un tissu blanc et le long couloir-labyrinthe dessiné par les déplacements. Puis ensuite cela est chahuté, réinventé, redessiné : le drap-la chambre. Après la scène 2, je vois Gérard enroulé dans le drap blanc de la chambre-linceul !- comme Clément, comme la mère de Mademoiselle Point. Je vois la valise sombre. L’intérieur clair. Pour les costumes, de plus en plus, je vois du blanc et du noir et quelques gris. Du contemporain et du 1913 mêlés sans précaution. Création d’une mode unique ! Dans l’état actuel des choses, on ne peut presque pas échapper au vert (la queue de la rose et éventuellement la pomme). Alors quelques pousses de vert ? (…)
C’est naïf et précis, et ce qui me frappe, en relisant ces notes, c’est de voir à quel point j’étais dans le concret du travail de mise en scène et d’interprétation. Après ces quelques visualisations, il y a des notes sur chaque comédien. La façon dont chacun se cache et la façon dont le jeu réussit à prendre corps. Oui ! c’est visiblement cela qui domine mes préoccupations en février 1987 : l’enjeu humain du jeu du texte.
Ce journal de la création d’Une année sans été ne compte que dix pages. Huit ont été rédigées durant le premier mois de répétition, aucune phrase n’y évoque l’écriture ni les affres de l’auteur qui met sa pièce en scène.
Le 23 mars, le « journal » s’achève par deux pages qui commencent ainsi :
Journal en mémoire… Impossible d’écrire pendant ce mois. D’abord le temps était compté, et puis dire après chaque jour ou chaque semaine le doute, le trouble, ça ne paraît pas très constructif. Le spectacle est allé jusqu’à la première (le 20) sans rupture et sans crise grave, ce qui est déjà quelque chose. C’est même mieux que cela. Toujours je traverse une période de remise en cause absolue de tout le travail. Là ça s’est produit quelques jours après l’arrivée à la Bastille. D’abord peur d’être en retard, de ne pas être prêt offrir quoique ce soit à quiconque. Aussi bien sûr doute absolu quant à la qualité du texte (…)
Une année sans été venait d’être créée, la pièce portée par ses interprètes avait rencontré le public. C’était mon premier passage de la page à la scène dans un grand théâtre parisien (le Théâtre de la Bastille). Ce sera un succès public, professionnel et médiatique. Ce premier acte m’a ouvert largement les portes du métier et depuis j’ai, près de trente fois, mis en scène une de mes pièces.
Il y a toujours eu des périodes de doute absolu.
Catherine ANNE – 28-09-2011