Joël Pommerat est de retour à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, où il a triomphé l’automne dernier avec la reprise d’Au Monde et des Marchands, deux spectacles emblématiques de sa compagnie. Ce printemps, avec la création d’Une année sans été, de Catherine Anne, il ouvre une nouvelle voie dans son parcours. Pour la première fois, il met en scène de jeunes comédiens dans une pièce qu’il n’a pas écrite. Et c’est très beau, comme peut l’être une histoire émouvante quand elle est bien racontée.
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Cette histoire est celle de trois jeunes gens, deux filles et un garçon, qui vont traverser ensemble un automne, un hiver et un printemps. Mais pas d’été, parce que cette année-là il n’y en aura pas pour eux. La guerre, qui s’annonçait en sourdine, éclate et les sépare. C’est la grande, celle de 1914. Pour les trois jeunes gens, sa déclaration marquera à jamais la fin de leur jeunesse.
Ce n’est pas pour cette raison que la pièce est jouée cette année, mais, évidemment, la résonance du souvenir se fait entendre. Guerre des armes, guerre des âmes : dans Une année sans été, les deux se rejoignent à la fin, comme s’il fallait une explosion extérieure pour que se libère une tension intérieure. Quand elle a créé sa pièce, en 1987, au Théâtre de la Bastille, Catherine Anne était toute jeune. Elle sortait du Conservatoire, elle aimait passionnément Rainer Maria Rilke, et elle a puisé dans son oeuvre la matière d’une histoire qui ressemblait à ce qu’elle et ses amis vivaient : le passage au monde adulte, avec ses joies et ses douleurs, ses angoisses et ses désirs.
Gérard, le jeune homme d’Une année sans été, veut être écrivain. Pour le devenir, il sait qu’il doit quitter sa ville de province, et braver son père, qui ne peut pas comprendre. Il s’en ouvre à Anna, qui travaille dans le bureau de l’entreprise paternelle. Anna est allemande, plus âgée que Gérard. Elle a déjà fait le chemin de partir de Göttingen, elle parle en faisant de jolies fautes de français, et elle voyage, pour se trouver et écrire, peut-être. En elle, on pourrait facilement voir Lou Andreas-Salomé, et en Gérard, Rainer Maria Rilke. Mais Catherine Anne s’en distancie : même si de nombreuses phrases rappellent Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, les Lettres à un jeune poète, ou le journal de Lou Andreas-Salomé, Une année sans été ne les copie pas, elle s’en inspire.
Anna et Gérard se retrouveront, à Paris, où Gérard a pris pension dans l’appartement d’une femme qui vit seule avec sa fille, Louisette. Il y aura entre eux des amours compliquées, plus ou moins avouées. Il y aura aussi des départs et des voyages, puis un jour Gérard reviendra en sachant que, oui, il est écrivain. Alors, il pourra dire à Anna et Louisette : « Nous sommes au commencement. » Mais c’est la fin. La guerre mène Gérard au front, Anna repart en Allemagne, Louisette est à Paris… Ainsi s’achève Une année sans été : comme une lame.
UN DISPOSITIF TRÈS SIMPLE
Dans cette pièce, il y a deux autres personnages, qui peuvent paraître en retrait du trio, mais ne le sont pas : Mademoiselle Point, qui travaille dans le bureau du père de Gérard, et reste dans sa province. Auguste Dupré, un Parisien riche qui se perd dans les mondanités pour oublier que ce qu’il écrit est nul. Tous les deux nourrissent le récit de leur présence : ils représentent la tentation, lâche ou peureuse, de l’immobilité dont les autres veulent s’extirper. Dans sa mise en scène, Joël Pommerat leur donne autant d’importance qu’aux autres, en travaillant, à son habitude, l’aspect choral d’une communauté de personnes.
Tout se passe dans un dispositif très simple : une pièce noire, comme une chambre photographique d’où sortiraient des images en noir et blanc. Il n’y a pas d’autres couleurs, dans Une année sans été. Seuls ce noir du plateau et ce blanc de l’éclairage qui dessinent une fenêtre, un ciel au-dessus de Paris, le confinement d’une chambre, l’espace de la rue. Une telle maîtrise des lumières est fascinante, comme l’est, une fois de plus chez Joël Pommerat, l’utilisation du son. Les voix semblent vous parler à l’oreille, comme si elles n’avaient aucune distance à franchir, comme si vous étiez le seul confident de l’histoire.
Et puis, il y a les acteurs. Un seul, Rodolphe Martin, qui joue Dupré, a déjà travaillé avec Joël Pommerat : il incarnait le narrateur dans Le Petit Chaperon rouge. Les autres sortent de l’école, ils n’ont pas encore beaucoup joué, mais cela ne se sent pas, tant ils sont justes. C’en est même étonnant quand on entend parler Anna, jouée par Garance Rivoal. On la croit allemande, elle est française, et a travaillé son accent avec une répétitrice. Carole Labouze (Mademoiselle Point), Laure Lefort (Louisette), et Franck Laisné (Gérard) se partagent les autres rôles. Chacun porte une part d’enfance, comme on serre un mouchoir dans sa poche, quand on ne veut pas pleurer. Tous nous mènent au coeur du sujet : dans la solitude d’êtres qui se cherchent.
Brigitte Salino.
Une année sans été, de Catherine Anne. Mise en scène : Joël Pommerat.